Voici : nos frères,
L'un et l'autre entrainés dans la guerre de Créon
Contre la lointaine Argos, la guerre pour les mines de fer,
L'un et l'autre tombés, ne seront pas
L'un et l'autre recouverts de terre.
Celui qui n'a pas craint le combat, Etéocle,
Sera, dit-on, couronné puis enseveli selon l'usage.
Mais l'autre, mort d'une mort misérable, Polynice,
D'après ce qu'on a proclamé dans la cité,
Personne ne devra prendre pour lui le deuil.
Abandonné sans pleurs ni sépulture,
Il sera dévoré par les oiseaux. Quiconque fera
Quoi que ce soit contre ces mesures
Sera lapidé. Alors dis-moi ce que tu comptes faire.
Ca commence à Berlin en avril 1945 : à cette époque, il n'était pas rare de trouver pendu aux réverbères de la ville déserteurs, adolescents affolés par la peur, soldats ayant perdu leurs unités. Quiconque se risquait à dépendre leur cadavre était abattu sur le champ.
L'Antigone que Brecht tire de Sophocle via la traduction de Holderlin est un exemple magnifique de son art de la cope, fidèle dans le style, différend dans le dessein.
"L"acte de copier est méprisé ; il faut se libéerer de ce mépris. Copier n'est pas "plus facile". Ce n'est pas une honte, mais c'est un art. Plus précisément : il faut en faire un art, et cela pour que ne produise ni routine ni sclérose." (Bertolt Brecht). A partir de Hegel, Créon avait réévalué comme représentant de la loi des hommes contre la loi des dieux, des vivants contre les morts, de la rationalité étatique contre les soladirités privées. Pour Brecht, Créon représente l'Etat violent, plus précisément : violent par insuffisance, sottise. C'est "la cruauté ramenée à la bétise".
Créon, tyran de Thèbes, mène une guerre impérialiste contre Argos. Etéocle meurt au combt, Polynice veut déserter ; Créon le tue, ordonne qu'on laisse son corps sans sépulture. Entre 1939 et 1945, des centaines de cadavres de femmes exécutées pour crime contre l'Etat furent ainsi remis aux services d'anatomie des hopitaux universitaires de Berlin pour dissection.
Antigone se révolte ; mais contrairement à la tragédie grecque, elle n'invoque pas les dieux, mais l'humain. Créon n'est pas impie ; il est inhumain, et il incarne l'ordre inhumain de Thèbes : il répond à la cupidité des Anciens, qui ont besoin de guerres pour s'enrichir, au risque d'y perdre leurs fils, et à leur stupidité : quand vient la défaite, ils invoquent le destin pour mieux fuir leur responsabilité.